Elevée, elle aussi, dans la pension où l'avait précédée sa tante Marie, elle devait en conserver 
l'empreinte à jamais, gardant des principes et un enseignement qui en on fait une femme forte 
et équilibrée.
Les religieuses « parrainèrent » le mariage de la tante Marie, le 11 janvier 1900, avec un 
niçois, Charles GASTAUD, employé chez sa tante, à Rouïba. Le jeune couple alla s'installer 
dans la « Ferme Reine », qui devint, bien plus tard, la « Ferme GASTAUD ».
Quant à ma grand-mère, elle aussi est morte jeune, à 55 ans des suites d'une opération de 
l'estomac. C'était le 25 août 1924.

Nice, avril 1988

Paulette SANTINI 
Autre preuve de courage : sa résignation devant la souffrance, après son terrible accident et les soins pénibles et douloureux qui n'en finissaient pas ...
Le papa BINDELIN est mort à l'hôpital de Ménerville le 21 décembre 1885, à l'âge de 45 ans à peine, miné par ses chagrins et ses soucis, cinq ans à peine après sa femme.
Il avait, entre temps, abandonné la terre, et obtenu un poste de déposeur aux chemins de fer algériens. Moins aléatoire que la culture, ce métier lui convenait. C'est grâce à cette situation nouvelle qu'il fréquenta la famille SCHUPP, dont le fils, Charles, était conducteur de travaux.
Au début de l'année 1886, l'orpheline, devenue une charmante jeune fille, a fait la connaissance, dans le village, d'un bel alsacien à l'oeil bleu. Ils s'aiment. Et si Félicie succombe au charme du beau Charles SCHUPP, c'est très probablement en toute innocence, et pour prouver son jeune amour confiant.
Ernest va faire son service militaire et Louis Nicolas le suivra. La jeune Marie est mise en pension chez les religieuses de Saint-Vincent-De-Paul au Fondouk prés de Réghaïa).
Dépassée par les épreuves qui n'ont cessé de l'accabler, la jeune fille se jette dans les bras de son amoureux, qui saura la protéger et l'aider toute sa vie.
Le mariage a lieu à Bouïra, le 23 avril 1887. Terminées, les tribulations ! L'ère du bonheur et de la quiétude va enfin surgir pour Félicie !
Charles SCHUPP est un travailleur sérieux, vif et entreprenant, à sa sortie de l'Ecole d'Enfants de Troupe de Péronne, il obtenu un poste de conducteur de travaux aux « Chemins de Fers de l'Ouest » où l'on apprécie son intelligence, sa droiture et son efficacité.
Mais sa profession va entraîner de nombreux déplacements, de gare en gare, pour la nouvelle famille.
Le 12 novembre 1887, naît à El- Esam, près d'Orléansville, la jolie petite Ernestine Joséphine, qui grandira longtemps seule, plusieurs frères et soeurs ayant disparu en bas âges. Survivront seulement mes tantes Jeanne (1894) et Marcelle (1897) et mon oncle Charles (1899).
Autant dire que ma mère a été longtemps la fille gâtée et chérie d'un père encore jeune (21 ans seulement les séparaient). Elle l'est restée d'ailleurs toute sa vie !
En décembre 1872, finalement, Louis BINDELIN se voit confier une autre paire de boeufs, jusqu'alors propriété d'un certain Monsieur PROST, en instance de départ. Mais on le prévient que les bêtes lui seront retirées lors de l'arrivée au village du successeur de ce dernier.
La coupe est pleine ! C'est Jeanne BINDELIN qui écrit au gouverneur Général, avec le courage du désespoir, expliquant que son mari va être dans « l'impossibilité la plus complète de mettre un seul grain de blé en terre » ! Et que la famille est dans le dénuement le plus démoralisant.
Grâce à l'appui du Régisseur-Comptable de « l'immigration Alsacienne Lorraine », le Préfet, alerté, accordera définitivement, le 27 février 1875, la paire de boeufs que la famille n'avait qu'à titre provisoire, et parce que « ce colon n'avait pas reçu de cheptel à son arrivée en Algérie ». Et il octroiera magnanimement un secours de 100 francs.
Je salue, après plus d'un siècle, la bienveillance charitable de ce Régisseur-Comptable, Monsieur DUSTOU, qui a su plaider la cause de mon arrière-grand-père auprès du Préfet, soulignant que « la famille BINDELIN est une de celle de Bellefontaine qui se recommande le plus aux faveurs de l'Administration, tant par les malheurs qu'elle a éprouvés, que par l'assiduité au travail et la conduite des différents membres qui la composent ».
Il n'empêche que le 21 décembre 1875 encore, pour survivre, Louis BINDELIN, va céder son droit-au-bail à un certain docteur Eugène STEPHANN, d'Alger, « pour sûreté d'un prêt de douze cents francs » !
Le 16 octobre 1878, naît, toujours à l'hôpital de Mustapha (Alger) une seconde petite fille, prénommée Marie Joséphine.
Le malheur veut que tout juste deux ans après, la maman meure, à l'âge de 37 ans (le 10 août1880).
Cette disparition précoce laisse Félicie, âgée de 12 ans à peine à la tête de la maisonnée.
L'école, déjà insuffisamment fréquentée, est carrément abandonnée ; et la courageuse fillette s'occupe de sa famille et de l'entretien de sa maison.
Courageuse, la petite lorraine l'a toujours été ! Elle l'a déjà prouvé en 1870, à deux ans à peine, lorsque avec ses frères (alors âgés de 7 et 6 ans) elle est restée cachée par ses parents plusieurs heures durant, dans un énorme foudre, avec la recommandation de ne pas bouger ni parler tout les temps que durerait la « visite » de la soldatesque prussienne dans le village de Devants-Les-Ponts ! (découverts, les enfants auraient eu les mains coupées !..)

J'ai toujours été étonnée d'une telle barbarie : laquelle avait marqué ma grand-mère, au point que toute sa vie elle détesta les hommes d'Outre Rhin.
Il sera construit petit à petit et intégralement par les Alsaciens Lorrains, arrivés comme Louis et attachés à leur parcelle de terrain.
Il y a, au début, des moments pénibles. Les ressources ne sont pas très florissantes, ni le moral toujours au beau fixe. Mais il faut s'en accommoder, malgré les incertitudes du lendemain et les instants de lassitude...
Dès le mois de d'août, le jeune Louis Auguste tombe malade pour de longues semaines.
Comble de peine et de soucis, en septembre 1872, c'est Félicie qui glisse dans un trou où les pierres de chaux sont en ébullition, et d'où on la retire affreusement brûlée aux jambes et aux bras ! Il va falloir des soins patients et coûteux, dispensés à l'hôpital de Ménerville durant de très longs mois. Tous les frais sont à la charge du pauvre père, qui n'a plus d'économie et gagne durement sa vie.
Le 24 septembre 1872, il écrit au Ministre de la guerre, afin de solliciter le remboursement des pertes éprouvées pendant l'occupation prussienne, joignant à sa demande des pièces justificatives : aucune réponse ne lui parvient !
En octobre, perte de la mule, laquelle sera toutefois remplacée en Janvier 1873. Et nouvelle malchance : la deuxième bête succombe à son tour, six semaines plus tard !
Affolé, pris au piège des nécessités, malgré son courage au travail, Louis BINDELIN doit subvenir coûte que coûte aux besoins les plus pressants de sa famille. Il décide donc, non sans peine, de vendre ses boeufs.
C'est alors que le découragement s'empare de lui. Le 2 octobre, il écrit non sans honte au Ministre de l'Intérieur, à qui il rappelle que le voyage Metz-Alger s'est effectué à ses frais, qu'il a dû tout vendre, au pays, pour parvenir à destination. Arrivé, il a trouvé une masure croulante, insalubre, sans plafond, dans laquelle les courants d'air s'insinuaient.
Mêmes les vivres se font attendre, ce qui ne contribue pas à donner un bon moral. L'attribution des boeufs tarde à venir, ainsi que celle des semences et de la charrue, ce qui retardera labours et semailles, alors que la saison est propice.
Le pauvre BINDELIN, désolé, se demande s'il ne va pas mourir de faim à Bellefontaine ou retourner auprès de sa famille à Devants Les Ponts ! (Seuls sa mère et son frère devaient y vivre encore. Le père Pierre Dominique était mort le 10 janvier 1871, juste quelques jours avant l'Armistice, après des mois de famine et de tristesse, sans savoir que sa belle ville allait devenir prussienne durant de longues années...) 57 ans !
Le gouvernement offrant une possibilité de réinsertion en Algérie, le départ pour l'Afrique fut 
décidé.
Le père avait fait, semble t'il, un bon choix ! (J'ouvre ici une parenthèse pour rappeler 
l'affirmation gratuite et péremptoire de Robert GARCIA, qui dans son livre « L'arrachement »  
écrit : « bien que l'on ait longtemps présenté l'Alsace-Lorraine comme la victime de la barbarie 
germanique et quelle que soit la place privilégiée qu'occupe cette région dans l'imaginaire 
collectif national, on ne peut pas accréditer l'idée selon laquelle les Alsaciens Lorrains obéirent 
strictement à des sentiments pro-français pour quitter leur région » !
Les généralisations sont souvent source d'erreurs, et ici, en particulier, de partis pris, même si le 
nombre de départs n'a pas été total, comme il le fut, bien plus tard, pour les Français d'Algérie !)
Nanti d'un certificat élogieux établi par la Maire de Devants les Ponts, en date du 4 juillet 1871,
ayant vendu quelques biens, Louis BINDELIN s'en venait trouver refuge, en décembre 1871, sur 
la terre africaine, qu'il ne devait plus quitter, et privé à jamais de tout ce qui avait été son cadre
de vie jusque-là.
Adieu le beau petit village « aux rues étroites et pavées, aux fermes rutilantes fleuries de 
géraniums rouges et blancs, le blé rond de l'été a alternant avec le moutonnement des choux bleus
de l'automne »... (Jean-Jacques MOURREAU) 
(En ce sens inverse, le même exode, le même déchirement, se produisirent en 1962, pour sa 
descendance, obligée de quitter l'Algérie afin de ne pas perdre sa nationalité. Et s'éparpillant 
sur le territoire Métropolitain, au gré des familles alliées qui l'accueillirent).
Il faut se souvenir qu'on avait fait miroiter à Louis une vie large et agréable, ce qui l'avait 
encouragé à abandonner le sol natal, sur lequel plusieurs générations de BINDELIN avaient vécu.
Une petite concession lui fut louée pour neuf ans, à partir du 1er mars 1872, « A l'expiration du 
bail, la propriété de la maison et du cheptel sera, comme celle de la terre louée, définitivement 
acquise aux locataires ».
Le nouveau « colon », à qui l'administration distribue les outils et les semences, va défricher avec 
acharnement son lot pour le cultiver. Une mule et une paire de boeufs, achetés de ses maigres 
économies dès l'arrivée lui seront d'un grand secours.
Le point de chute, c'est Bellefontaine, près de Ménerville, dépendant de la commune de l'Alma. 
On ne peut encore nommer »village », ce terrain 8sans rues, sans maisons, sans église, où 
seulement quelques gourbis abritent les nouveaux venus. 


Famille BINDELIN

Le 22 janvier 1868 naît à Metz-Devant-les-Ponts, une petite fille prénommée : Barbe Françoise, ce prénom, sous la forme « Barbara » était très répandu, surtout dans les pays germaniques et ce depuis le moyen-âge. Plusieurs arrière-grands-mères l'avaient porté (Barbe SALES, en 1739 ; Barbe THIEBAUT, en 1776). Quant au charmant prénom de Françoise, il honorait de nombreuses aïeules perdues dans la nuit des temps.....
C'est donc le bonheur dans la famille, car il n'y avait jusqu'alors que deux garçonnets au foyer de Louis BINDELIN (17 juin 1843).
Le baptême est célébré le 30 janvier, dans la joie, en l'église Saint-Simon, par l'abbé BAZIN, en présence de toute la famille. Les plus heureux sont le grand-père, Pierre Dominique BINDELIN (1806) et la grand-mère, née Anne-Marie THIEBAUT (1812) !
Le parrain et la marraine sont François et Barbe POTIER (née LONDURE).
Le repas de Baptême a lieu dans la maison familiale, arrosé de ces bons vins d'Alsace qui réjouissent le coeur. Les petits frères, Louis Auguste (1863) et Ernest (1864), s'amusent librement, trottinant de la salle commune au jardin, sans se soucier du froid hivernal, ravis de connaître la bonne compagnie de leurs nombreux cousins BINDELIN et COUCHOT.
La petite Barbe Françoise (dite Félicie) devait devenir ma grand-mère !
Après elle, naquit, en 1869, Louis Nicolas. Et la famille, courageuse au travail, s'activait au jardinage et à la culture. En bon messoyer, le père avait des bêtes pour ses labours, et tous les outils que nécessitait sa profession. Déjà les parents et grands-parents avaient été jardiniers, transmettant leur savoir et les améliorations acquises au long de leur vie. Seul, l'arrière grand-père François (1764) avait choisi un métier non agricole : comme son père, Michel (1739), il était devenu Maitre-Tailleur.
Mais l'histoire de sa vie serait restée celle de tous les enfants, sans la guerre, qui claqua comme un coup de tonnerre, le 18 juillet 1870 !
Dès le 10 mai 1871, le traité de Francfort, entre la France et l'Allemagne, stipulait que le maintien de la qualité de Français, aux habitants en France AVANT le 1er octobre 1872. Une convention additionnelle du 11 Décembre 1871 exigea par la suite que les individus originaires d'Alsace et de Lorraine choisissent la nationalité Française sous peine de devenir Allemands. Le 30 septembre 1872 l'administration allemande devait entamer le processus d'annulation des options non suivies de l'émigration !
Pour Louis BINDELIN et sa famille, la question ne se posa pas longtemps, malgré les nombreuses complications que leur choix allait entraîner.